Des affiches pour une Suisse sans armée

Un regard neuf sur l’histoire nationale

Le début des années 70 sonne pour l’armée suisse le début d’une période de contestation qui mobilisera les jeunes de façon importante et, à défaut de venir à bout de l’institution militaire, la forcera à adopter un certain nombre de réformes. C’est que les mouvements sociaux du moment font craquer de toutes parts la surface lisse du paysage politique suisse. Dans la lutte, la jeunesse se construit un regard nouveau sur l’histoire nationale. Elle découvre les ententes avec des régimes fascistes et coloniaux, la répression armée des mouvements ouvriers. Elle rejette définitivement le mythe d’une armée de milice neutre et purement défensive face à l’«ennemi extérieur».

 

Une composante majeure de la contestation

L’antimilitarisme s’impose comme une composante majeure de la contestation de l’époque. Le Mai 68 genevois débute d’ailleurs avec une manifestation de 1000 personnes contre les «journées militaires». En 1972, pour le quarantenaire de la fusillade du 9 novembre 1932, ce sont près de 3000 personnes qui se réunissent. Étudiants et jeunes travailleurs mobilisés dans les luttes sociales, destinés au service militaire, protestent contre le rôle qu’entretient l’armée, soit le maintien de l’«ordre bourgeois» et de valeurs réactionnaires passées.

En 1969 la Confédération fait scandale en distribuant à tous les ménages de Suisse le «petit livre rouge de la Défense Civile», un pamphlet paranoïaque anticommuniste qui préconise la vigilance et la réactivité face aux «ennemis intérieurs» de l’État. De nombreuses manifestations suivront et des écrivains affiliés à la Société suisse des écrivains (SSE) la quittent en masse pour protester contre le rôle qu’a joué leur président (Maurice Zermatten) dans la traduction du document. Les dissidents constituent alors le Groupe d’Olten.

Les objecteurs de conscience, issus principalement de milieux chrétiens, se font de plus en plus nombreux et on tente même d’institutionnaliser la pratique via une première initiative populaire visant à introduire le service civil. L’initiative sera rejetée en votations en 1977 mais elle aura suscité un large débat stratégique parmi les détracteurs de l’armée, partagés entre refus de se soumettre individuellement au service obligatoire et envie de s’organiser collectivement.

C’est dans ce contexte que les premiers «comités de soldats» voient le jour et avec eux une nouvelle façon de penser l’antimilitarisme, depuis l’intérieur des casernes. Si certains de ces comités se limitent à lutter contre les abus de pouvoir des gradés et les mauvaises conditions de vie des recrues, les plus actifs tapent droit au cœur de l’institution en y organisant des formations idéologiques, la distribution de propagande, des actions et des blocages. Les années 1972, 1973 et 1974 seront particulièrement agitées, malgré la répression et les tentatives de l’état-major de museler la révolte, les soldats documentent leurs luttes et les diffusent dans leurs propres journaux.

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Pour une Suisse sans armée

En 1982, 120 personnes fondent le Groupe pour une Suisse sans Armée (GSsA ou GSoA en allemand) lors d’une rencontre à Soleure. Militants de gauche plus ou moins radicaux, chrétiens pacifistes ou jeunes fraîchement débarqués, le GSsA est largement ouvert aux diverses tendances du pacifisme. Cette diversité se reflète dans la pluralité de ses modes d’action et de communication ainsi que dans celle des soutiens qu’il obtient lors de ses campagnes. En effet, si on connaît mieux le GSsA pour ses initiatives, son activité politique quotidienne se démarque par sa forte présence dans la rue et sa proximité avec les milieux culturels, notamment alternatifs. Les affiches exposées ici illustrent bien cette particularité. Elles constituent une partie importante de celles conservées aux Archives contestataires (plus de 130 pièces au total).

En 1985, le GSsA lance l’initiative populaire «Pour une Suisse sans armée et une politique globale de paix», il parvient à obtenir les signatures nécessaires et dépose l’initiative en septembre 1986. La défaite lors des votations de novembre 1989 n’en a pas vraiment le goût: plus d’un votant sur trois (35,6%) s’est prononcé en faveur de l’abolition de l’armée. Partout on s’étonne des résultats et l’état-major peine à cacher son malaise. Le GSsA se félicite de son succès et enchaîne avec un appel général à l’objection de conscience, puis avec la campagne contre l’achat des FA-18 (avions de combats). Depuis, le groupe reste actif dans des mobilisations de solidarité internationale et continue à déposer régulièrement d’autres initiatives, pour l’institution d’un service civil, la fin du service militaire obligatoire ou, tout récemment encore, contre de nouveaux avions de combat.

Initiative « Pour une Suisse sans armée et un politique globale de paix » (Novembre 1989)

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(Sauf indication contraire, les affiches de cette galerie et des suivantes proviennent du fonds du Secrétariat romand du GSsA)

Initiative « Pour une Suisse sans nouveaux avions de combat » (Juin 1993)

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Autres campagnes du GSsA

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Évènements publics et manifestations de rue

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Humour, illustration et bricolage…

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Fiches et fouines

En novembre 1989 une commission enquêtant sur l’«affaire Kopp» se réunit dans les bureaux de la police fédérale et découvre 900’000 fiches de renseignement concernant des étrangers séjournant ou ayant séjourné en Suisse, des citoyens suisses et des organisations politiques ou culturelles. Parmi les fichés, sont particulièrement ciblés les militants et militantes de gauche, anti-militaristes, féministes, indépendantistes jurassiens, contre le nucléaire ou l’apartheid, ainsi que les journalistes, enseignants et avocats progressistes.

La révélation de l’existence des fiches ébranle la Suisse. Près de 300’000 personnes demandent à consulter leurs fiches. Et, alors qu’on découvre avec stupeur l’ampleur des moyens déployés, certains apprennent qu’ils ont été dénoncés par des collègues ou des voisins, surveillés dans le moindre de leurs faits et gestes, parfois pendant des années. La gauche exige la démission des responsables et une manifestation réunit 35’000 personnes devant le palais fédéral sous le mot d’ordre «En finir avec l’Etat fouineur». Sous la pression du peuple et de politiciens de gauche, une nouvelle commission d’enquête est créée, elle vise cette fois le DMF (Département Militaire Fédéral). L’enquête révèle l’existence d’une armée (P-26) et d’un service de renseignement (P27), tous deux secrets et financés par les fonds publics. Les deux entités sont dissoutes en mars 1992 et une «réorganisation du Département fédéral de justice et police (DFJP)» est entreprise.

Comme l’écrit l’historien Pierre Chessex dans son préambule aux actes du colloque sur la police politique en Suisse: «Les années 1989-1990 resteront pour l’histoire celles de l’écroulement des régimes communistes en Europe de l’Est. En Suisse, ces années furent celles des “scandales”: affaire Kopp, police politique, armée secrète. Les citoyens découvraient alors certaines pratiques qui rappelaient à la fois le stalinisme (au moment où l’on applaudissait à la destruction du Mur de Berlin) et l’Ancien Régime (au moment où l’on fêtait le bicentenaire de la Révolution française et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) : surveillances illégales, interdictions professionnelles, armée de l’ombre, pratiques inquisitoriales, etc. Le Pouvoir montrait au grand jour la double face d’une politique d’un autre âge : au recto le clientélisme, au verso l’exclusion arbitraire. »

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Pour en savoir plus

Charles Heimberg, Pour une histoire sans trous de mémoire : 60 ans après la fusillade du 9 novembre [1932] à Genève, Genève, GSsA, 1992.

Cent ans de police politique en Suisse, Lausanne, AEHMO, éd. d’en bas, 1992.

Publications catalogués avec la catégorie Antimilitarisme dans le catalogue de la bibliothèque des Archives contestataires.